Poème Face-à-face millénaire

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Il n’est pas possible pour moi de créer sans être influencée par ce qui m’entoure. Ma mère m’as mise au monde et je suis restée au monde. Et même si j’aime passer de longs moments seule à ressentir, à comprendre, à intégrer mes émotions, ces émotions sont toujours liées à mon rapport au monde, d’une façon ou d’une autre. Ma poésie, même si elle peut relever de réflexions ou de sentiments très intimes, est toujours écrite - ou en tous cas partagée - vers l’extérieur.

Comme j’essaie de ne pas cultiver une poésie sombre et pessimiste et que mon envie est de faire jaillir de la lumière par l’écriture chaque fois que cela est possible, j’ai évité intentionnellement de parler de ce que cette année 2020 nous a apporté collectivement jusqu’à maintenant.

Mais la ligne directrice de ce magazine poétique repose sur le fait que je crée « en direct », au fur et à mesure des numéros qui sortent. Je n’ai pas préparé des poèmes en avance pour une publication ultérieure. Je veux pouvoir partager avec vous l’expérience créative. Pour cela, je dois vous parler de ce qui se passe dans ma tête, dans mon cœur et sur mon clavier, sans préparation et sans artifice. Les poèmes que je partage avec les abonnés sont donc un peu comme un journal poétique qui s’écrit de lui-même, semaine après semaine. Il n’y a pas de préméditation possible. Je vous livre mes émotions du moment présent, sans idée préconçue ou intention préalable.

Cette semaine, même si je cherchais à créer de la clarté et de la paix, je n’ai pas pu écrire autre chose que le poème « Le face-à-face millénaire ». Tout autre sujet me tombait des mains. J’étais submergée par ce trop-plein de pensées et d’émotions que j’avais décidé de garder pour moi jusque-là.

Il est difficile d’avoir une pensée cohérente sur un sujet qui se développe devant soi en temps réel. On peut avoir des émotions, des réactions, des questions, des réflexions, mais pas une thèse ou une compréhension correcte d’un phénomène dont on ne voit qu’une partie à la fois et dont on ne connaît pas l’’issue.
C’est la raison pour laquelle je voulais attendre avant de m’exprimer. Je voulais avoir une meilleure vision d’ensemble, être dans la réflexions aboutie et non pas dans des réflexes, avoir une pensée plutôt que des opinions qui s’affrontent sans raisonnement.
Mais la vie n’attend pas et la poésie encore moins. On choisit ce que l’on décide de partager en tant qu’auteur, mais on ne choisit pas ce qui s’écrit sous nos doigts. Et ce qui a envahi mon écriture cette semaine, c’est cet exténuement devant la peur brandie comme une arme de guerre. La peur entretenue, cultivée, utilisée, instrumentalisée, est devenue la réponse à toute question, une fin de non-recevoir à tout raisonnement.
Ces derniers mois ont provoqué en moi une cascade d’émotions différentes. Je suis passée par la peur, le soulagement, la colère, l’incompréhension, l’incompréhension, l’incompréhension… Puis la peur des conséquences de toutes nos réactions intempestives face à l’inconnu et à la peur. Peur de ce que la peur fait faire aux êtres humains.

Intéressant qu’à l’heure où les visages s’effacent progressivement derrière des masques sensés nous protéger d’un ennemi invisible, ce mot de « face-à-face » se soit imposé à moi. Brandir la peur pour effacer toute réflexion et toute liberté de réfléchir, de questionner, est une pratique millénaire. La peur de mourir a précipité les humains dans les pires aberrations. Les peuples antiques – pourtant ingénieux et savants - qui pratiquaient des sacrifices humains pour calmer les dieux et les catastrophes naturelles ne nous prouveront pas le contraire.

Je crois que nous sommes aujourd'hui dans un face-à-face multiple.
Tout d’abord un face-à-face avec nous-mêmes et notre rapport à la mort qui semble être devenue un aspect inacceptable de notre humanité. Ce questionnement-là va être infini si nous, êtres humains, avons décidé de ne pas faire la paix avec notre mortalité d’une façon ou d’une autre.
Ensuite, un face-à-face avec nos sœurs et frères humains. Le dialogue ne semble plus être désiré. Nous nous parlons à coup d’opinions sans débat, sans ouverture d’esprit à la pensée contraire et sans raisonnement.
Enfin, un face-à-face avec l’autorité publique et notre délégation de liberté au profit d’autrui pour le bien de la communauté ou peut-être, plus justement, dans un souci de confort personnel nous permettant de ne plus avoir à penser par nous-mêmes.
Depuis toujours, l’être humain a fait face à sa mortalité, à l’autre, au pouvoir et à la peur. Trop souvent, ses réactions se sont soldées par encore plus de peur, un désir de contrôler voire éliminer l’autre, une course au pouvoir et à la prétendue domination des circonstances extérieures.
La peur nous fait faire n’importe quoi. Depuis toujours. Ceux qui font la guerre ont toujours prétendu protéger la paix. Ceux qui amassent en exploitant les autres sont dévorés par la peur de manquer. Ils ont raison sur le fait de manquer. Nous manquons d’amour et d’intelligence. Et certains, en manque de tout, brandissent la peur pour tenter de rendre tout le monde esclave de leur propre effroi.

J’ai eu peur de ce virus qu’on nous annonçait être nouveau. J’ai donc fait ce que je fais toujours : m’informer et trouver un moyen de calmer ma peur. Après l’étude des données scientifiques et des comparaisons historiques, ma peur du virus s'est estompée. J’ai eu une peur viscérale du crash économique qui est en train de s’amorcer. Une histoire familiale qui comprend des ancêtres qui sont morts de faim tend à vous rendre vulnérable à ce type de peur. Et là encore, je me suis soignée. La peur ne peut pas me gouverner. J’ai aligné raisonnement constructif et relativité philosophique pour faire taire cette peur-là aussi. Et aujourd’hui j’ai peur du manque de pensée, du manque de conversation, de questionnement, d’une unanimité imposée de gré ou de force. J’ai peur de l’intensité de ma totale incompréhension face à la réaction de peur collective. Alors, je travaille à déconstruire cette peur-là aussi. Je ne peux pas m’inquiéter de la peur d’autrui si je suis moi-même sujette à la peur. Alors, je change ma peur en espace de pensée et en espace d’écoute.
Mais parfois, c’est vrai, j’ai envie de crier quand rien n’a de sens. Quand la logique est attaquée de toute part. Quand je vois des vieux – oui des vieux, c’est un joli mot « vieux » - mourir de faim parce qu’on ne veut pas qu’ils meurent d’autre chose. Ou mourir seuls, complètement isolés, de vieillesse, mais ouf pas de ce virus à la une. Et je pleure devant les conséquences de la peur et les souffrances inutlies que l’on inflige à d’autres et parfois à soi-même.

Mais mon âme sourit.
Parce qu’elle est insupportable. Parce qu’elle trouve toujours un moyen de sourire, même quand j’ai envie de crier. Parce qu’elle ne s’encombre pas de considération sur la mortalité et sur la peur. Parce qu’elle vit et qu’elle ne juge pas. Parce qu’elle a confiance sans raison, parce qu’elle est la force de vie, quel que soit le nom que vous lui donniez. Parce que la vie a toujours raison, parce que la vie sourit au travers de mes larmes.

Je tiens à dire que je ne juge en rien les peurs de chacun d’entre nous. Nous avons tous peur de quelque chose. J’ai peur de ce que la peur nous fait faire. J’ai peur de la mort des gens que j’aime. Même si j’accepte très bien l’idée de la mortalité, je supporte très mal l’absence physique de mes proches. Mais je soigne mes peurs le plus possible à coup d’amour et de pensée échangée avec mes amis humains.

Prenez bien soin de vous, on se parle la semaine prochaine !

 

Nejda

 

 

 

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