Magazine Invente-moi le monde N° 28 : "Ecrire sa vie."

 

Un jour, tu écriras un livre pour raconter tout ce que j'ai vécu. Mon père finissait presque toujours une de ses longues histoires par ces mots.
Je me suis toujours dit que je l'écrirais un jour, le livre de la vie de mon père, son odyssée, ses aventures.
Enfant, j'adorais profiter de ses dons de conteur, comme j'aimais écouter mon grand-père raconter sa propre enfance, mais je n'avais pas encore commencé à écrire.
J'aimais les mots et j'aimais les histoires. Mais pour écrire vraiment, il faut avoir vécu. Et je crois que c'est pour se souvenir que l'on a vécu, que l'on ressent le besoin d'écrire.

La premier texte que j'ai écrit était une chanson pour le spectacle de l'école. C'était un projet de classe. Nous devions le faire tous ensemble. Personne n'avait d'idées, personne ne voulait le faire. Nous étions sûrement beaucoup trop jeunes et la maîtresse un peu trop ambitieuse. Nous devions prendre une chanson existante et transformer les paroles pour parler de nous et de notre école. Je me souviens de la chanson : "Voulez-vous danser grand-mère?".
La maîtresse était triste, les enfants énervés. J'ai proposé de prendre la chanson à la maison et de ramener un texte le lendemain. Les mots sont venus tout seuls. C'était facile parce que la chanson existait déjà. Je n'avais plus qu'à changer les mots, mais le rythme et l'histoire étaient déjà là, en transparence. Je n'avais plus qu'à suivre le canevas.
C'était aussi facile parce que j'avais déjà tellement été bercée d'histoires que les mots étaient devenus mes compagnons de jeu depuis longtemps. Et puis il y avait une musique et la musique appelait l'histoire et la façonnait sans presque y toucher.

Depuis je n'ai jamais arrêté d'écrire. Pourtant je n'avais encore rien à raconter. Je me souviens de ce professeur qui m'a dit, lorsque j'étais adolescente : "Tu sais écrire. Maintenant va vivre ta vie, comme ça tu auras des choses à dire."

Et je ne sais pas si c'est à cause de lui, mais j'ai toujours voulu écrire pour dire quelque chose. Si je n'ai rien à dire, je ne peux pas écrire. C'est pour cela qu'il y a certains sujets que je n'aborde pas. Soit je ne les connais pas assez, soit je ne ressens pas le besoin d'en parler. Pour moi, l'écriture est toujours un dialogue. Je m'adresse à quelqu'un. Je vous raconte une histoire, comme mon père ou mon grand-père me racontaient leurs histoires. Que cela soit dans une chanson, un poème, un essai, une pièce de théâtre ou un récit, je ne peux pas cesser de penser à vous. Parce que pour moi l'écriture est simplement une forme d'oralité qui perdure. Mais elle n'a d'intérêt que si je peux transmettre un peu plus loin une réalité, un rêve ou une idée.

Ce que je trouve étrange, c'est ce besoin que l'on a de raconter. C'est étrange, mais c'est aussi passionnant. Evidemment, nous avons tous envie d'être compris et d'être accueillis. Et c'est pour cela que nous communiquons les uns avec les autres. Mais il y a quelque chose de plus fondamental, il me semble, dans ce mouvement vers non seulement l'histoire, mais l'écrit.
Je crois que nos plus belles expériences et nos plus grandes réalisations sont de l'ordre de l'intime. Nous passons notre vie à créer des émotions et des idées de plus en plus fortes et de plus en plus personnelles. Nos plus grands combats et nos plus douces victoires se passent dans nos esprits. Nous évoluons sans cesse, nous apprenons, nous construisons notre être, mais si nous ne transfomons pas tout ce travail intérieur en une histoire qui peut être racontée, alors c'est un peu comme si nous avions fait tout cela en secret. Cela revient presque à ne pas l'avoir fait.

Ecrire une histoire ou une émotion, c'est comme prendre une photographie d'un moment de vie. Cela nous permet de savoir que ce moment a existé. J'ai été frappée il y a peu de temps quand une amie m'a rappelé un fait que j'avais complètement oublié. Elle se souvenait être venue me visiter, lorsque j'étudiais en Italie. J'ai eu beau creuser ma mémoire, je n'arrivais pas à me rappeler cette visite. J'essayais d'imaginer les événements, mais rien ne me revenait. Instinctivement, mon esprit a été rechercher des souvenirs de photos que j'avais prises à Bologne et que j'avais ensuite collées dans un album. Ma mémoire me repassait mentalement toutes ces photos et je me souvenais de chaque personne qui était venue me voir, parce que je me rappelais de ces instantanés rangés dans un livre que je n'ai pourtant pas ouvert depuis très longtemps. Mais je crois que nous n'avions pas pris de photos, lorsque cette amie en particulier était venue. Je ne pouvais pas me raccrocher à un souvenir visuel. Et le souvenir de la visite ne m'est toujours pas revenu.

Alors j'écris. Comme je prends des photographies. Pour transformer ce que je suis en train de vivre en une histoire, en quelque chose de concret. Pour que ce quelque chose de concret puisse vous servir un jour. Un jour de pluie, un jour de tristesse, un jour de joie ou un jour d'amitié. Quand on a créé quelque chose, on a envie que cette chose existe et apporte un peu de lumière et de force aux autres. C'est pour cela, je crois, que nous racontons nos vies aux petits. En tous cas, c'est pour cela que je vous écris.

Je vous souhaite une semaine passionnante à écrire votre vie et à lire et raconter des histoires lumineuses!


Nejda

 

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